UNITARISME

UNITARISME
UNITARISME

L’«unitarisme» désigne des solutions, en fait très diverses, atteintes à la fin d’une démarche théologique qui conduit à la critique, puis au rejet, des énoncés sur Dieu et sur Jésus-Christ fondés sur les déclarations de foi des premiers conciles «œcuméniques» chrétiens. Ce mouvement débuta au XVIe siècle dans divers pays européens: la Pologne, la Transylvanie, l’Angleterre. L’héritage unitarien – relativisation des énoncés dogmatiques, démarche à l’allure fréquemment philosophique, organisation fluide – est, de nos jours, souvent repris par les divers courants du libéralisme religieux qui subsistent au sein et aux confins des protestantismes européen et nord-américain.

Les options doctrinales

À Nicée (325) et à Chalcédoine (451), des assemblées avaient adopté, quant au statut divin du Christ et à son identité, des formules reçues ensuite comme normatives par la quasi-totalité des Églises occidentales: «vrai Dieu de vrai Dieu [...] consubstantiel au Père»; «un seul et même Fils vraiment Dieu et vraiment homme [...]; un seul et même Christ [...] en deux natures». Au XVIe siècle, les initiateurs des réformes luthérienne et calviniste, ainsi que leurs successeurs les plus stricts, ont respecté ces définitions dogmatiques jugées conformes au témoignage de l’Ancien et du Nouveau Testament sur Dieu et sur Jésus-Christ. Un biblicisme sans concession, la critique historique ou rationnelle ont conduit dans le même temps les précurseurs de l’unitarisme, tels M. Cellarius (1499-1564) en Allemagne, M. Servet (1511-1553) en Suisse, ainsi que des anabaptistes rhénans ou des humanistes chrétiens italiens, à mettre en cause cette réception de la tradition. Les solutions proposées par les divers unitariens ont en commun une insistance très forte sur le thème de la «monarchie» – l’unité – divine; certains ne cessent d’attribuer à Jésus-Christ une place éminente dans l’œuvre de révélation, d’autres seront moins précis, la plupart reprenant diverses nuances d’adoptianisme qui conduisent à privilégier la «nature humaine» de Jésus-Christ. Les effets de ces choix doctrinaux sur la pratique liturgique et l’éthique (certains unitariens refusent de prier Jésus-Christ ou de lui rendre un culte), accompagnés d’une réaction de rejet de la part des diverses orthodoxies, ont provoqué la constitution de communautés unitariennes là où des protections efficaces ou un régime de tolérance le permettaient. Ces Églises sont édifiées sur un consensus doctrinal minimal; leur organisation est de forme congrégationaliste ; la discipline a pu, dans le passé, y être sévère; elles s’expriment le plus volontiers sur le plan du christianisme pratique.

L’Église unitarienne en Pologne et en Transylvanie

Les premières communautés rassemblant des «antitrinitaires» se constituèrent en Pologne et en Transylvanie (partie orientale du royaume de Hongrie, aujourd’hui en Roumanie), dès le milieu du XVIe siècle, dans des régions où étaient implantés des groupes de confession juive, et à proximité, sinon sous la domination, de pays musulmans.

La Pologne était liée à l’Italie depuis le mariage de Sigismond Ier avec Bona, sœur du duc de Milan, et des humanistes italiens antitrinitaires, tels Biandrata ou L. Socinus y séjournèrent. De plus, Sigismond II Auguste fut un prince tolérant. Dès 1565, très tôt, à l’issue de la conférence de Piotrków, et sous l’impulsion de Gonesius, s’organisa, en marge de l’Église réformée, l’«Église des frères de Pologne et de Lituanie qui ont rejeté la Trinité», ou plus simplement la «petite Église polonaise ». Les débuts en furent marqués par de nombreuses controverses, qui surgirent parfois au contact de groupes anabaptistes: on agitait la question de savoir si l’Esprit saint est une personne divine ou un don de Dieu, les problèmes du baptême des enfants ou du droit du chrétien à porter les armes, celui de la «non-adoration» de Jésus prônée par S. Budny en Lituanie. Écartée de l’union de Sandomir (1570), la petite Église fonda son centre à Raków. Une communauté nombreuse et fervente s’y établit; la ville devint un lieu important de formation et d’édition. Quelques années plus tard, Faustus Socinus (1539-1604), descendant d’une lignée d’éminents juristes de Sienne, vint résider en Pologne. S’il ne fut pas reçu comme membre de l’Église, il en devint le théologien le plus important: il reprit ses travaux sur la christologie, dégagea l’Église de ses tendances à l’anabaptisme. Son œuvre informa pour une bonne part le Catéchisme de Raków , publié en 1605. La Contre-Réforme, la guerre firent que, après la destruction de Raków (1638), les «ariens» polonais, les « sociniens », allaient être contraints d’émigrer en Prusse et en Transylvanie, puis jusqu’en France et en Hollande. La trace des derniers sociniens se perd en Pologne en 1824.

C’est en Transylvanie que le terme «unitarien», qui occulta les autres, fut forgé: le calviniste P. Melius l’employa lors de l’importante dispute de Gyulafehérvar (1568); et, en 1600, la Diète de Léczálva reconnut les droits de la «religion unitarienne». La rencontre de Biandrata, du calviniste Francis David et de Jacob Paléologue conduisit à l’organisation de l’Église unitarienne dans cette région. Très tôt confinée par le prince Báthory à Kolozsvár et à Torda, elle rassembla des gens de la campagne ou d’origine plus modeste que la moyenne des fidèles de l’Église polonaise. Dans un pays au destin souvent tragique, l’Église unitarienne de Transylvanie connut une existence difficile au cours du XVIIe siècle: des groupes firent sécession, tels les «sabbataires», qui étaient favorables à la remise en vigueur de rites juifs. Cependant, elle subsista jusqu’au moment où, vers la fin du XVIIIe siècle, elle retrouva une certaine importance, et entra en communication avec les groupes unitariens d’Angleterre et des États-Unis. Quelques communautés unitariennes existent encore en Roumanie.

Les communautés anglaises et américaines

En Grande-Bretagne, c’est à la fin d’une longue histoire au sein des Églises établies et dissidentes que les groupes unitariens parviennent à l’autonomie.

Font figure de précurseurs J. Acontius (1492-env. 1566), des groupes anabaptistes tôt réprimés, des sociniens et des remontrants hollandais, le groupe des «latitudinaires» d’Oxford, au nombre desquels W. Chilling-worth (1602-1644). Mais c’est le bibliste John Biddle (1615-1662), lequel tira bénéfice du régime de Cromwell, qui donna, dans son Catéchisme double , sa première expression théologique à l’unitarisme anglais. Alors que des groupes libéraux se multipliaient parmi les dissidents, il fallut attendre 1778 pour voir s’ouvrir la première église unitarienne à Londres: Theophilus Lindsey (1723-1808) s’y établit. Joseph Priestley (1733-1804) donna au mouvement une impulsion déterminante. Thomas Belsham (1750-1829) fonda en 1791 la première société unitarienne: Unitarian Society for Promoting Christian Knowledge and the Practice of Virtue by the Distribution of Books. En 1813, les droits civils furent garantis aux unitariens; en 1844 étaient confirmés les droits de propriété d’édifices cultuels, alors qu’en 1825 avait été fondée la British and Foreign Unitarian Association. À la fin du XIXe siècle, sous l’influence de James Martineau (1805-1900), qui était en contact avec l’école de Tübingen, l’unitarisme anglais, ou tout au moins l’une de ses fractions, adopta une allure plus rationaliste et moins confessionnelle.

En Amérique du Nord, le mouvement unitarien surgit, pour s’en dégager, au sein des Églises congrégationalistes de Nouvelle-Angleterre, au début du XVIIIe siècle, alors que ces communautés calvinistes étaient atteintes par le «Réveil» que prêchaient J. Edwards et G. Whitefield. William E. Channing (1780-1842) donna au mouvement libéral un contenu théologique précis: les affirmations calviniennes essentielles furent abandonnées, la conscience et la raison étant présentées comme les vecteurs d’une communication toujours possible de l’homme avec Dieu. La Harvard Divinity School fut un lieu de formation des unitariens américains, marqués encore au XIXe siècle par les travaux de R. Emerson (1803-1882) et M. Parker (1810-1860). Une American Unitarian Association fut créée en 1825. Une structure encore plus large d’accueil des communautés unitariennes fut mise en place en 1900: l’International Council of Unitarian and Other Liberal Religions. Après la Seconde Guerre mondiale, ce mouvement prit pied en Allemagne. Enfin, en 1953, fut formé le Conseil des Églises libérales, où les unitaristes reçurent leur place.

Cet élargissement illustre la faculté qu’a le mouvement unitarien contemporain d’exister sous une forme diffuse dans divers mouvements religieux, et fait perdre une partie de sa signification au chiffre que l’on avance – 300 000 en 1995 – pour dénombrer les personnes qui sont liées, en Grande-Bretagne, et aux États-Unis surtout, aux formes institutionnelles, et héritées du passé, du mouvement unitarien.

unitarisme [ ynitarism ] n. m.
• 1872; unitarianisme 1838; de unitaire, ou angl. unitarism
1Relig. Doctrine des unitaires (I) .
2Polit. Théorie unitaire (II, 2o).

unitarisme nom masculin Doctrine de certains groupes dissidents de la Réforme (Michel Servet, Fausto et Lelio Socin) qui niaient le dogme de la Trinité parce qu'ils y voyaient un abandon du monothéisme.

UNITARISME, subst. masc.
A. — RELIG. [Corresp. à unitaire I A] Doctrine, hérésie des unitaires. Chez certains flegmatiques, le goût de l'action envahit la religion au point qu'elle n'est plus qu'un optimisme d'hommes d'affaires, à la limite une philanthropie. Tel ce Channing, fondateur de l'unitarisme (MOUNIER, Traité caract., 1946, p. 746).
B. — POL. [Corresp. à unitaire I B] Théorie unitaire; doctrine, système des unitaires. La constitution de Weimar, qui mariait unitarisme et fédéralisme (VEDEL, Dr. constit., 1949, p. 187).
C. — P. anal. [Dans un autre domaine] Théorie unitaire. Le monisme et l'unitarisme sociaux qui sont propres à Comte et le rendent incapable de prendre conscience des différents degrés de l'unité immanente à la pluralité et de la pluralité immanente à l'unité, caractérisant les totalités sociales (Traité sociol., 1967, p. 42).
REM. Unitariste, adj. a) Relig. [Corresp. à supra A] Propre à l'unitarisme. Je peux te dire ce que je conclus dans mon coin en fermant un très beau livre (...) c'est le livre du pasteur américain unitariste Channing (SAND, Corresp., t. 4, 1861, p. 282). b) Pol. [Corresp. à supra B] Propre à l'unitarisme. L'abdication et la division régionale auraient ainsi prouvé et avoué que tous les acteurs de la sanglante comédie unitariste avaient désormais joué leur rôle (P. C. ULLOA, L'Abdication, le partage et la fédération de l'Italie, 1868, p. 10 ds QUEM. DDL t. 14).
Prononc. et Orth.:[]. Att. ds Ac. dep. 1878. Étymol. et Hist. 1. 1861 relig. « doctrine des unitariens » (SAND, op. cit., p. 285); 2. 1840 pol. la centralisation et l'unitarisme (Constit. nch., 25 août ds PIERREH. 1926); cf. 1868 (J. BUZON, Abstention..., 9 ds DUB. Pol. 1962, p. 439, n° 5301). Dér. de unitaire; suff. -isme; au sens 1, d'abord unitairianisme, 1830 (V. JACQUEMONT, Lettre à M. Jacquemont père, 31 oct. in Corresp., t. I, p. 288 ds REY-GAGNON Anglic.), unitarianisme 1842 (Ac. Compl.) francisation de l'angl. unitarianism 1698 (F. B. Modest Censure, 22 ds NED), dér. de unitarian, v. unitarien. Bbg. QUEM. DDL t. 14 (et s.v. unitariste).

unitarisme [ynitaʀism] n. m.
ÉTYM. 1865, au sens 2; unitarianisme, 1838; de unitaire, ou angl. unitarism, unitarianism.
1 (1872). Relig. Doctrine des unitaires.
2 Polit. Théorie unitaire; des unitaires.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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